CHAPITRE 14

— Ils partent tous assister à une réunion privée, annonçai-je. Tous les membres actifs. J’aimerais bien savoir ce qui va se passer à cette réunion.

Je m’efforçais de parler calmement, mais à l’intérieur de moi, je bouillais.

— J’ai vu des gens se diriger de ce côté-ci, précisa Rachel en montrant une direction du doigt.

— Voyons si on peut s’approcher, proposai-je.

— Qu’est-ce qui se passe ? s’énerva Marco. Je croyais que tout était normal ici.

— Ici, rien n’est normal, répondit Cassie en frissonnant. Tu ne le sens pas ? Tous ces prétendus membres actifs sont tellement gentils, tellement serviables. Ils sont si normaux que c’est anormal. Et leurs yeux n’arrêtent pas de vous observer, de vous surveiller. De vous épier comme des chiens affamés fixant un os.

— Ils font peur, insista Rachel. On croirait un mélange de supporters mâtinés de profs de gym auxquels on aurait fait boire dix tasses de café.

— Ils sont un peu trop joyeux, hein ? reconnut Marco. Des gens n’arrêtent pas de me raconter que tous leurs problèmes ont disparu le jour où ils sont devenus membres actifs du Partage. On croirait assister à une sorte de culte.

— Je vais me rendre à cette réunion secrète, annonçai-je car j’avais besoin de savoir, d’acquérir une certitude absolue. Éloignons-nous du feu. Allons là-bas, derrière le poste de contrôle du maître-nageur.

— Comment comptes-tu faire ? me demanda Marco.

— Ils ne s’inquiéteront pas de voir un chien errant se balader sur la plage, répondis-je.

— Un chien… oh, fit Marco.

— Bonne idée, approuva Cassie. J’en ferais bien autant, mais je ne peux morphoser qu’en cheval, et un cheval, ils le remarqueraient.

Après m’être assuré que personne ne pouvait nous voir, j’agitai un bras au-dessus de ma tête. Quelques secondes plus tard, Tobias émergea du ciel étoilé en planant silencieusement et se percha sur le siège du maître-nageur.

< Qu’est-ce qui se passe ? >

— Les membres actifs sont partis assister à une réunion privée, lui expliquai-je. Tu sais où ils sont allés ?

< Bien sûr. Avec ces yeux-là, je vois les souris filer dans les herbes des dunes. De jolies petites bêtes dodues et appétissantes. >

— Tobias ! Ressaisis-toi. Tu ne vas pas te mettre à manger des souris sous prétexte que tu es dans un corps de faucon. Qu’est-ce que tu dévorerais ensuite ? Des accidentés de la route ?

Il ne répondit pas. Ça l’avait peut-être vexé que je suggère qu’il pourrait un jour se régaler de cadavres. Mais si ça ne l’avait pas vexé, c’était pire.

— Où sont les membres actifs ? lui demandai-je.

< Sur la plage, à une centaine de mètres d’ici. Les dunes forment une sorte de petit amphithéâtre, mais il y a des gardes postés tout autour. >

Je hochai la tête.

— Beau travail. Tobias, il y a plus d’une heure que tu es dans ce corps. Il est temps de démorphoser.

< Non, je vais encore surveiller de là-haut pendant un moment. >

— Non, Tobias, ordonnai-je sèchement. Il faut que tu démorphoses. Tu as fait ce qu’on attendait de toi.

< Ben… il y a un petit problème. Je n’ai rien sur moi. >

— Marco a apporté tes vêtements dans un sac. Rachel et Cassie regarderont ailleurs pendant que tu démorphoseras.

Cassie sourit.

— Il va falloir que je vous apprenne à morphoser tout habillés, messieurs.

Mais Tobias hésitait toujours.

< Je déteste reprendre mon aspect humain. Ça me donne l’impression de retourner en prison. J’ai horreur de perdre mes ailes. >

— Tobias, rien ne t’empêchera de remorphoser en faucon par la suite, lui assura Rachel. Allez au boulot, tous les deux. Je détournerai les yeux pour ménager votre délicate pudeur de mâles.

Je pris une profonde inspiration. C’était seulement ma seconde tentative d’animorphe, et il me semblait toujours grotesque d’envisager sérieusement de devenir un chien. Pourtant, en me concentrant, j’éprouvai les démangeaisons indiquant que l’ADN de Homer s’associait au pouvoir andalite pour aboutir à ma transformation. Et pendant ce temps-là, je voyais des doigts pousser au bout des ailes de Tobias.

— Cramponne-toi à ton côté humain, m’avertit Cassie. Il ne faudrait pas que tu te mettes à poursuivre les chats. Tu dois te concentrer pour garder le contrôle de toi-même.

Je voulus répondre : « Oui, je sais », mais cela donna « Wouah, wouah, grrr ! » J’étais déjà trop morphosé pour émettre un langage humain. Aussi pensai-je ma réponse :

< Oui, je sais, Cassie. Ne t’inquiète pas. >

— Mais je m’inquiète, dit-elle doucement.

Je nichai ma truffe froide dans le creux de sa main, elle me tapota la tête, et je partis sur la plage.

Cassie avait eu raison de me prévenir. Les dunes, le ressac, les pépiements discrets des oiseaux de mer dans leurs nids secrets, tout se combinait de manière idéale pour distraire mon esprit de chien.

J’entendis un animal respirer dans les joncs et, brusquement, s’enfuir ! Je me lançai à sa poursuite sans prendre le temps d’y réfléchir. Il courait, je le poursuivais. Je pense qu’il s’agissait d’un rongeur quelconque, probablement un écureuil rayé, mais je ne l’ai jamais su avec certitude, car il trouva un trou et y plongea.

Pendant un instant, je creusai frénétiquement le sable avant que mon esprit ne se mette à protester : < Allons, Jake, ce n’est pas ça que tu es censé faire. Arrête ! >

Je m’obligeai à retourner à l’endroit où se tenait la réunion. Quand j’entendis un murmure, je me mis à ramper, puis je réalisai que c’était stupide. Les chiens n’approchent pas en rampant. Ou ils accourent, ou ils se sauvent. Si je jouais le « chien espion », j’attirerais immanquablement l’attention.

Je poursuivis donc mon chemin en trottinant, comme n’importe quel chien faisait sa petite promenade du soir sur la plage, la langue pendante et la queue battant la mesure. La seule précaution qui s’imposait était d’éviter que Tom ne me voie de trop près. Après tout, j’étais le portrait craché de Homer.

Fondamentalement, j’étais Homer.

Je m’approchai du lieu de la réunion, une cuvette entourée de dunes élevées. Vingt ou trente personnes y étaient réunies. Malheureusement, avec ma mauvaise vue de chien, je les distinguais mal dans l’obscurité. Mais je les entendais. Je les entendais même étonnamment bien. Des chuchotements que j’aurais à peine perçus avec mon ouïe humaine étaient aussi bruyants qu’un hall de gare.

Et puis je les sentais. C’est curieux, l’odorat. En tant qu’humain, on n’y prête pas vraiment attention, mais quand je me repliais sur moi-même et laissais s’épanouir mes facultés de chien, l’odorat devenait aussi important que la vue. Différent, mais tout aussi utile dans certains cas.

J’entendis la voix de Tom et flairai une subtile combinaison d’odeurs signifiant qu’il n’était pas bien loin.

Il y avait un homme de garde, mais il se contenta de me jeter un coup d’œil et détourna la tête. Personne ne se soucie d’un chien errant.

Je commençais à comprendre pourquoi l’Andalite nous avait dotés de la capacité de morphoser. Il y a des tas de choses qu’on peut faire en tant qu’animal, alors qu’elles seraient impossibles à réaliser si on était humain.

Les membres semblaient attendre l’arrivée de quelqu’un. J’entendis Tom dire :

— Il ne devrait pas tarder. Justement, le voilà.

Il y eut un mouvement de foule, des murmures discrets. J’entendis un bruit de pas. Je me rapprochai, tout en restant en dehors de la lumière.

— Silence, tout le monde ! dit la voix. Nous avons des problèmes.

La voix ! Je la connaissais : c’était celle que j’avais entendue sur le chantier de construction, celle qui avait ordonné : « Conservez seulement la tête et apportez-la-moi, qu’on puisse l’identifier. »

Je m’approchai discrètement. Avec ma faible vue de chien, je dus plisser les yeux pour distinguer celui qui venait de parler, mais lorsqu’il tourna la tête, je le vis bien. Et je le reconnus. C’était quelqu’un que je connaissais, quelqu’un que je voyais tous les jours au collège.

M. Chapman, le directeur du collège en personne.

Mon directeur de collège était un Contrôleur.

— Tout d’abord, on n’a toujours pas retrouvé les gosses du chantier de construction, déclara-t-il d’un ton sec. Je veux qu’on mette la main dessus. Vysserk Trois veut qu’on les retrouve. Quelqu’un a-t-il une indication quelconque ?

Pendant un instant, personne ne parla. Puis j’entendis une deuxième voix familière.

— Ça peut être n’importe qui, commença Tom, mais il se pourrait que ce soit mon frère, Jake. Je sais qu’il lui arrive parfois de traverser le chantier. C’est pourquoi je l’ai fait venir ici ce soir. Pour en faire l’un des nôtres… ou pour le tuer.

 

L'invasion
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